Les romans musicaux, lorsqu’ils sont crédibles et exaltants, dispensent une solide notoriété à leur auteur. Il faut pour cela qu’ils soient validés par des lecteurs concernés, car eux seuls savent apprécier leur crédibilité en jugeant de l’exactitude, voire de la véracité du récit. La cohérence des ouvrages de John King ou de Nik Cohn, notamment, provient de leur expérience, de leur sensibilité, et de leur talent à retranscrire des émotions mélodiques.
Récemment réédité aux éditions 10/18, Grégoire Hervier a signé avec son troisième ouvrage un roman noir captivant, qui l’intronise de fait dans le cercle restreint des écrivains rock.
Thomas, journaliste et musicien féru de rock, effectue une pige dans un magasin de guitares renommé de Pigalle. Envoyé en Ecosse pour effectuer une livraison pour un client de très haut standing, il se voit confier par celui-ci une mission à un million de dollars : prouver l’existence d’un modèle mythique de guitare Gibson datant de 1957, la fameuse Moderne. Ce commanditaire énigmatique prétend s’être fait dérober l’un des trois exemplaires de cet instrument fantasmagorique. Il précipite dès lors Thomas dans un road movie planétaire qui le mènera aux confins de l’histoire du rock n’roll.
A la lecture de Vintage, son inspiration, sa précision, et sa façon de faire groover le récit font de ce livre un polar passionnant. Les musiciens les plus avertis ne devraient pas douter de l’exactitude des faits, des références et de leurs détails tant l’écriture de cette histoire semble avoir été documenté. L’auteur y fait preuve d’une grande connaissance de la culture du rock. La précision dans la description des instruments semble provenir de sa passion pour ces objets de créations, qui dépassent du cadre musical pour frayer dans celui des collectionneurs. Il nous offre ainsi avec délectation une approche originale de l’univers des fans des guitares.
En groupe, il émane de l’exécution de riffs au long cours une acuité acérée des subtilités de la pratique du rock. Fort de cette expérience, Grégoire Hervier parvient à retranscrire avec exactitude des rapports et des liens psychologiques entre plusieurs musiciens. Sur le ton original d’une trame de roman noir, il parcourt l’histoire du rock anglo-saxon depuis les années 50, de sa genèse dans le sud profond américain jusqu’aux joutes rigoristes des forums internet actuels. Cet érudit déroule son histoire avec toute la passion et la fibre musicale qui l’animent. Il met en scène des personnages fictifs qu’il mêle à des événements réels. En donnant vie à Li Grand Zombi, un guitariste de blues albinos, il effectue une démonstration de la filiation entre blues et métal, via les expérimentations psychédéliques et les progrès techniques du matériel musical des années 50 et 60.
Captivant par sa nature, ce polar rock engendre donc son lot de connaissances. L’on peut ainsi y découvrir la méthode d’enregistrement de Les Paul. Dans les années 40, ce guitariste américain concepteur de guitare eut l’idée géniale d’enregistrer plusieurs parties de guitares en rejouant sur un acétate diffusé simultanément sur un phonographe. Les enregistreurs multipistes n’existaient pas encore, et cette ingénieuse méthode d’overdub pouvait opportunément permettre de superposer les parties musicales. Les mélomanes adeptes des vinyles pourraient aussi apprendre dans Vintage le procédé du sillon fermé, constituant une boucle cohérente sur un disque gravé, qui permet à celui-ci de jouer harmonieusement une séquence musicale infini.
Avec ses personnages pittoresques, ses dialogues truculents, et une salvatrice transmission d’émotions, Grégoire Hervier parvient à séduire le grand public tout aussi bien que les spécialistes de riffs distordus. Il décline au fil de ce polar sa conception de l’esprit du rock, nous livrant avec justesse, au détour de ses tribulations romanesques, sa définition du blues : une ’’ forme d’existentialisme avec beaucoup d’esprit, mais dépourvu de prétention et basé sur la sincérité du cœur’’.
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