Lorsque Manu Chao vint diffuser en septembre dernier les vibrations acoustiques de son album Sibérie m’était contéee, il repartit d’ici avec dans ses flight-cases un exemplaire de ce livre. Car il est question de lui dans cet ouvrage, et de beaucoup d’autres icônes du rock…
Pour réunir ainsi dans leur légende un aréopage idéal de musiciens, les Clash avaient dû, 39 ans plus tôt, infléchir le destin du rock. Ils lui avaient indiqué le 12 décembre 1980 une trajectoire expérimentale, un triple album audacieux aux influences multiples nommé Sandinista ! En apportant la certitude au rock qu’il pouvait désormais se nourrir d’expressions diverses, cet opus allait préfigurer la musique de toute une génération. De l’entrechoc des 198 pages du récit de son élaboration nous proviennent l’énergie d’une époque, l’insouciance des pionniers de tendances nouvelles qui fusionneraient dans les mêmes sillons du cosmopolitisme.
Il n’y aurait de mythes dans la musique sans que certains artistes n’aient eu la tentation de bousculer les codes. Les Clash n’auront pas échappé à cette inclination. Au firmament de leurs carrières après avoir livré à l’irrévérente scène punk London Calling, ses 4 membres ressentirent pour leur cinquième album la nécessité de partager des émotions nouvelles. Il aurait était plus aisé pour eux de poursuivre leurs interprétations reggae au lieu de livrer un album d’avant-garde. Sa reprise du succès de Junior Murvin, Police and Thieves, avait d’ailleurs suscité en 1977 l’adhésion du public. Mais les circonstances ont poussé le groupe à s’affranchir de la facilité et à se réinventer dans une apparente insouciance. En mars 1980, les londoniens avaient rallié Kingston et le studio Channel One, expérience avortée par l’excessif enthousiasme des habitants du quartier. Le groupe décida alors de rejoindre New York où une semaine d’acclimatation et un changement de studio s’avéra nécessaire pour que la magie opère. Car c’est finalement à l’Electric Lady, où plane l’aura de Jimi Hendrix, que l’inspiration apparut subitement. L’imprégnation de l’énergie de l’endroit, ainsi que l’osmose du groupe, soufflèrent une rafale de chansons à Joe Strummer qui signa alors 20 textes en 3 semaines.
Cette délocalisation providentielle engendra des compositions inhabituelles pour le Clash qui s’orienta vers les multiples tendances qui abondent dans le creuset culturel new yorkais. L’enregistrement des nouvelles compositions s’effectua avec le concours ponctuel des musiciens des Blockheads. Ainsi constituée, cette formation de studio augmentée favorisa l’émergence de morceaux plus éclectiques aux grooves sophistiqués et variés. Bousculé par le jaillissement du hip hop, Joe Strummer s’essaya même au rap, genre qui lui permit de s’extraire du strict schéma couplet refrain et pour lequel il éprouva certaines facilités d’écriture, en atteste The Magnificent Seven.
Mi avril 1980, le Clash pouvait rapatrier en Angleterre la matière nécessaire à la production de 114 minutes de musique, qu’il répartit sur les 6 faces d’un même album. Il faudrait pour cela apprêter au mieux ces 36 morceaux, en leur donnant leurs atours définitifs aux croisements inédits des tendances blues, rock, calypso, funk, jazz, dub, rap…
Contre toute attente, Sandinista ! suscita le tollé d’une bonne partie de la presse musicale anglaise et a aiguisé l’acrimonie de ses contempteurs. Le bouleversement de la musique du groupe relevait pour certains d’entre eux du mauvais goût, si ce n’est de la trahison. Pour rester en phase avec la base de son public, le groupe souhaita assurer un prix de vente très modéré en renonçant aux royalties sur les 200000 premières ventes. La France lui réserva par ailleurs un accueil enthousiaste, à la hauteur de celui des Etats-Unis. Le 23 septembre 1980, le groupe vint à Paris s’installer une semaine en résidence au théâtre Mogador où ils donnèrent plusieurs concerts. Manu Chao, Rachid Taha et nombre d’artistes influents des scènes indépendantes des années 80 y assistèrent et s’imprégnèrent de l’esprit de Sandinista ! qui rejaillit pour partie sur leur musique.
Le pas de coté et l’insubordination régissent assurément l’expression du punk rock qui, paradoxalement, peut se montrer rétif à l’évolution. En décloisonnant les genres musicaux, les Clash se sont réinventés à une période ou leurs certitudes ont évolué. Sandinista ! s’est ainsi érigé a l’encontre d’une certaine forme d’intransigeance et de radicalité. Leur alliage d’irrévérence et de curiosité englobait de multiples formes d’expression et d’influences undergrounds qu’il serait aisé de nommer ‘’sono mondiale’’. Avec des créations basées sur la mixité et le mélange des genres, Sandinista ! a prédestiné l’émergence de fusions musicales, anticipant la world musique dans ses tendances crossover les plus impétueuses.